Alfred de Musset (1810-1857)
Il fréquente les poètes du Cénacle de Charles Nodier et publie à 19 ans Contes d'Espagne et d'Italie, son premier recueil poétique. Il commence alors à mener une vie de « dandy débauché », marquée par sa liaison avec George Sand, tout en écrivant des pièces de théâtre : À quoi rêvent les jeunes filles ? en 1832, Les Caprices de Marianne en 1833, puis le drame romantique Lorenzaccio— son chef-d'œuvre —, Fantasio et On ne badine pas avec l'amour. Il publie parallèlement des poèmes tourmentés comme la Nuit de mai et la Nuit de décembre en 1835, puis La Nuit d'août (1836) La Nuit d'octobre (1837), et un roman autobiographique La Confession d'un enfant du siècle en 1836.
Dépressif et alcoolique, il écrit de moins en moins après l'âge de 30 ans ; on peut cependant relever les poèmes Tristesse, Une soirée perdue (1840), Souvenir en 1845 et diverses nouvelles (Histoire d'un merle blanc, 1842, le livre de chevet de Lucie Merle). Il reçoit la Légion d'honneur en 1845 et est élu à l'Académie française en 1852. Il écrit des pièces de commande pour Napoléon III. Il meurt à 46 ans et est enterré dans la discrétion au cimetière du Père-Lachaise.
Les caprices de Marianne
CLAUDIO
COELIO
OCTAVE
TIBIA, valet de Claudio
PIPPO, valet de Coelio
MALVOLIO, intendant d'Hermia
MARIANNE
HERMIA, mère de COELIO
CUITA, vielle femme
Comédie en 2 actes
Pièce publiée en 1833, représentée pour la première fois à Paris le 14 juin 1851 à la Comédie Française
COELIO. - Combien de temps cela durera-t-il ? Huit jours hors de chez toi ! Tu te tueras, Octave.
OCTAVE. - Jamais de ma propre main, mon ami, j'aime mieux mourir que d'attenter à mes jours.
"Ne dirait-on pas que notre maîtresse a dix-huit ans et qu'elle attend son sigibée"
Un sigibée, ou chevalier servant, est un homme qui, dans la noblesse de l'Italie du XVIIème siècle, accompagnait officiellement et au grand jour une femme mariée.
OCTAVE.-L'indifférence. Vous ne pouvez aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épine et sans parfum.
MARIANNE.-Bien dit. Aviez-vous préparé d'avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues,
donnez-le-moi, de grâce, que je les apprenne à ma perruche."
lacryma christi vin napolitain
cousin plein de facétie / juge plein de causticité / subtil magistrat / godelureau chéri / aimable croupier à roulette
[c'est un peu triste de s'ennivrer tout seul]
OCTAVE.-
Le monde entier m'abandonne ; je tâche d'y voir double, afin de me servir à moi-même de compagnie.
On ne badine pas avec l'amour
LE BARON
PERDICAN, son fils
MAÎTRE BLAZIUS, gouverneur de PERDICAN
MAÎTRE BRIDAINE, curé
CAMILLE, nièce du baron
DAME PLUCHE, sa gouvernante
ROSETTE, soeur de lait de Camille
PAYSANS, VALETS.
Publiée en 1934, représentée pour la première fois à Paris, le 18 novembre 1961, à la Comédie Française.
Acte 2, scène 5
CAMILLE.- Je veux aimer mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d'un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. Voilà mon amant. (Elle montre le crucifix.)
[...]
PERDICAN.- Il y a deux cent femmes dans ton monastère, et la plupart ont au fond du coeur des blessures profondes ; elles te les ont fait toucher, et elles ont coloré ta pensée virginale des gouttes de leur sang. Elles ont vécu, n'est-ce pas ? et elles t'ont montré avec horreur la route de leur vie ; tu t'es signé devant leurs cicatrices comme devant les plaies de Jésus ; elles t'ont fait une place dans leur procession lugubre, et tu te serres contre ses corps décharnés avec une crainte religieuse, lorsque tu vois passer un homme. Es-tu sûre que si l'homme qui passe était celui qui les a trompées, celui pour qui elles pleurent et elles souffrent, celui qu'elles maudissent en priant Dieu, es-tu sûre qu'en le voyant elle ne briseraient pas leurs chaînes pour courir à leur malheur passé, et pour presser leurs poitrines sanglantes sur le poignard qui les a meurtries ? Ô mon enfant ! sais-tu les rêves de ces femmes qui te disent ne pas rêver ? Sais-tu quel nom elles murmurent quand les sanglots qui sortent de leur lèvres font trembler l'hostie qu'on leur présente ? Elles qui s'assoient près de toi avec leurs têtes branlantes pour verser dans ton oreille leur vieillesse flétrie, elles qui sonnent dans les ruines de ta jeunesse le tocsin de leur désespoir et font sentir à ton sang vermeil la fraîcheur de leurs tombes ; sais-tu qui elles sont ?
[...]
PERDICAN.- Adieu Camille, retourne dans ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de la tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. (Il sort.)